Emile et Mary Duclaux

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Émile Duclaux, né à Aurillac en 1840 et mort à Paris en 1904, fut pionnier de la microbiologie auprès de Louis Pasteur, à qui il succéda à la direction de l’Institut Pasteur. Son épouse Mary Robinson Duclaux, née en Angleterre en 1857 et morte à Aurillac en 1944, poétesse et cofondatrice du prix Femina, écrivit la biographie de son mari en 1906. « La vie de Émile Duclaux » vient d’être réédité par l’association Jeux de mots 15.

Extrait de "La vie de Émile Duclaux"

Partie II - Chapitre IV - Le Cantal

Çà et là, sur l’étendue verte de la montagne, scintille, dans le ciel bleu, une maisonnette minuscule, coiffée de tuiles rouges. On n’en voit que ce toit qui brille comme une crête de coq. Elle est toujours ombragée par deux énormes tilleuls qui poussent bien parce qu’on a pris soin de construire au bord d’une source. C’est lou mosut (le petit mas), le buron, ou, si vous aimez mieux, la hutte : l’abri des vachers pendant l’estivade. Là se trouvent les quelques presses et les seaux dont ils ont besoin dans leur métier, et là, tous les jours, depuis la fin de mai jusqu’à la mi-octobre, ils fabriquent le fromage

Souvent le buron est d’une saleté repoussante, même de nos jours, et c’était bien pis encore avant qu’Émile Duclaux eut entrepris ses travaux sur la fabrication du fromage dans le Cantal. Il prêchait la bonne parole autrefois chez les fromagers, comme chez les éleveurs de bestiaux, comme chez les vignerons du Puy-de-Dôme. Le peu d’idées, en fait d’hygiène et de science, que possèdent aujourd’hui les gens de la campagne en Auvergne, on peut bien dire qu’ils les doivent au petit-fils du vieux Farges : c’était presque un des leurs, donc ils l’écoutaient. Lui, de son côté, ne faisait pas le délicat, et tout en reprenant leur malpropreté sordide, savait en même temps admirer leur habileté.

Pressage à genoux de la pâte un buron
Pressage à genoux de la pâte un buron

Pour apprécier leur art, il faut, en effet, avoir vu les vachers du Cantal pousser leur large lame de bois, d’un mouvement lent et circulaire, dans la profonde gerle, ou vase au petit lait, pour charrier à travers ce liquide aqueux les grumeaux brisés du caillé, jusqu’à ce que tous les morceaux, soudés ensemble, forment au fond un gâteau élastique. Si les vachers sont adroits, ils sont encore plus forts. Duclaux savait les regarder malaxer la pâte de leurs grosses mains velues, la presser, puis la comprimer avec l’aide de leurs genoux jusqu’à ce que le sérum s’en écoule totalement, laissant une masse compacte et ferme, d’une blancheur de porcelaine, qu’ils appellent la tome.

Ils pensaient être seuls en faisant leur fromage, dans leur hutte solitaire de la montagne. Les vachers se trompaient. Tout autour d’eux s’agitaient des êtres microscopiques, visibles pour Duclaux, ignorés de ces hommes simples. Ces microbes imprègnent les vases, l’air, le sol, les ustensiles de la fabrique, les vêtements des vachers. On ne peut rien faire sans eux. Toute l’habileté du fromager consiste à utiliser toujours les mêmes espèces qui président, depuis des siècles, à la fabrication de tel fromage qu’il veut reproduire. Il y en a une diversité extrême ; autant de pâtes, autant de bactéries. La fourme du Cantal, massive, friable, assez riche en eau, ne comporte pas les mêmes microbes que le brie dont la chair molle montre sous le “rouge” de la croûte une transparence jaunâtre et grasse qu’aucune main humaine ne saurait donner. Les invisibles travailleurs font le plus fort de la besogne. Ils sont pourtant bien frêles, vite anéantis, à la merci d’une saute de température, ou d’un peu trop de sécheresse. Faute de soins, ils meurent, laissant peut-être la place libre à une espèce moins bien douée. Le vacher dit alors que sa cave est malade et se voit pendant un temps forcé d’abandonner la fabrication du fromage, sans qu’il comprenne pourquoi.

Deux paysans portant la gerle
Deux paysans portant la gerle

De 1877 à 1896, Duclaux a consacré bien des années à faire beaucoup d’expériences, à écrire quelques livres, sur le lait et les produits de l’industrie laitière. Ces études l’amenaient à attribuer un rôle prépondérant aux microbes dans toutes les industries qui ont le lait comme matière première. Devant lui, défilaient alors ces êtres qu’il arrachait à leur obscurité en les nommant d’un nom terrestre, comme Adam les bêtes du Paradis : voici le Tyrothix tenuis, le Tyrothix filiformis. Voir, classer, donner un nom, c’est bien, mais le meilleur est d’arriver à un résultat pratique. C’est ce que Duclaux aimait surtout à faire. Les fromages du Cantal étaient d’une conservation particulièrement difficile, parce que les ferments vivaient trop facilement dans une pâte grasse et trop peu consistante. Duclaux faisait faire du fromage avec du lait partiellement écrémé, plus maigre et plus pressé, partant d’une maturation plus lente. Désormais la fourme se conservait mieux et le fermier vit s’ouvrir devant lui un marché plus étendu pour une denrée moins périssable. Le commerce du fromage a pris depuis une grande extension dans le Cantal où, au dire des paysans, “le fromage paie le fermage”. La Société d’agriculture récompensa ces travaux par la grande médaille d’or de 1881. “Les travaux de Duclaux (a pu dire le docteur Roux) inaugurent l’ère scientifique de la laiterie”.

Pour en savoir plus sur Émile Duclaux

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Première réédition complète du livre publié en 1906.

Emile Duclaux, science et conscience

Extraits préfacés, illustrés et annotés du livre La Vie de Émile Duclaux.

Pour marcher dans les pas d'Émile et Mary Duclaux