Léon Boyer

Mur Léon Boyer

Poète, né le 30 novembre 1883 à Marchastel, mort pour la France le 10 mars 1916 à Verdun.

Poèmes extraits du recueil posthume "Genêts et rocailles" (1920)

Brin de genêt

Brin de genêt fleuri, dont la rosée en gouttes
Brillait, ce clair matin, au bord d’un tertre vert,
Ah ! comme d’un élan mon cœur reprend la route
Et, rien qu’à te sentir de ce livre entrouvert,
Mon Auvergne m’apparaît toute !

Toits à flancs de coteaux et l’un l’autre épaulés
Sous la lave ployant leurs rugueuses échines,
Mais dont l’âme, fidèle aux vieux granits scellés,
S’exhale, au long des sours, par-dessus les collines
Vers les fous qui s’en sont allés !

Chemins ruineux, pleins de relents chauds d’étables,
Coqs éclatants sur des fumiers moirés d’or,
Bruits de chars… murs croulants lustrés au suint des râbles,
Et l’humble champ, hélas ! où manqueront des morts
Près des ancêtres vénérables !

Torses membrus, sabots cloutés et poings calleux,
C’est vous, frères encore imprégnés d’âme antique,
Et dont la lèvre, ainsi qu’un dur fruit rocailleux,
D’âge en âge transmet notre patois rustique
Si doux au cœur des oublieux !

Et vous, hêtres penchés, sapins, je vous revois,
Géants noirs et velus dévalant par les gorges
En monstrueux galops de bêtes aux abois,
Et vous, gaves blanchis aux cent rumeurs de forges,
Ivres d’écumes et d’abois !

Vous voici, hauts labours, écorchant la pierraille,

Seigles chétifs et grumeleux de nos pains bis,

Blés noirs en fleurs bordant le roc et la broussaille,

Où gîtent, apeurés, lèvres roux et perdrix

Et vols bruyants et lourds de cailles !

Comme vous défilez, basaltes colossaux,
Gonflés encor sous la toison des lichens rèches,
Schistes sculptés en qui se meurent des sursauts…
Donjons à pic, saignant du soleil par vos brêches
Comme aux nuits rouges des assauts !

… Escalades, aux flancs égueulés des cratères,

D’arbres feuillus, par les crevasses arc-boutés,

Malgré le plein choc d’or des javelots solaires…

Salut, ô châtaigniers qui, dans vos bras, portez

Le sang robuste de la terre !

Maintenant, c’est la mer agreste des burons
Et des herbages où s’ouvrent les gentianes…
Des pâtres vont, nu-pieds, tout vêtus d’horizon,
Près de rouges troupeaux paissant en caravanes,
Et de taureaux à lourds fanons.

Plus haut, où de l’azur fait plus roses nos landes…
Chants de grillons au creux des tertres attiédis,
Genêts bourrus, mêlant leurs gousses aux lavandes,
Aigres genevriers, par les larges midis
Soufflant l’odeur fauve des brandes !

– Comme toi, brin amer que je cueillis à même
Vos pics, que ne me suis-je en eux enraciné !
Oh ! le bon hâle, alors, au lieu de mon front blême,
Et, tout gorgé de sucs et non maigre et fané
Oh ! l’âpre et savoureux poème !

Mais, puisqu’est vain ce rêve et qu’est vain mon effort,
Pour qu’en des soirs pareils mon Auvergne apparaisse,
Laisse, brin de genêt, laisse monter encor,
Du moins comme un reproche embaumé de tendresse
Ton parfum nostalgique et fort !

La Grive

Mars, sur les coteaux nus et gris,
Fait luire sa pâle risée,
Et la grive, à tout petits cris,
Chante en nos bois son arrivée.

Grise d’aile, l’œil noir et vif,
La gorge lisse et grivelée,
Elle va, vient, d’un vol furtif,
Explorant taillis et cépée.

Avril fait gonfler les bourgeons ;
Puis on voit des feuilles paraître…
La grive pille les buissons
Et niche au creux fourchu d’un hêtre.

Et bientôt, l’on ne voit plus rien,
Dans la feuillée haute qui pousse,
Qu’un peu de laine et quelque brin
Du gros nid calfeutré de mousse.

Puis sous son duvet tiède et doux
Dans la fraîcheur verte des branches
La mère couve quatre œufs roux
Piqués de tachetures blanches.

Deux semaines… Des œufs éclos,
Dont choient des débris de coquille,
Affamés, bourrus, les yeux clos,
Tendant leur gorge de jonquille.

Les petits grouillent… Par les blés
Et les champs la grive maraude,
Et rapporte, au bec enroulés,
Vers ou chenilles d’émeraude.

Maintenant, tout l’arbre bruit
D’un menu concert de voix grêles ;
Aigrette au front, au bord du nid,
Les jeunes frissonnent des ailes…

Et pêle-mêle, un clair matin,
Saisis d’on ne sait quelles fièvres,
Ils s’en vont d’un vol incertain
Gagnant broussailles et genièvres.

À mon pays

Ô mon Pays sauvage et doux, voici mes vers…

Tu les reconnaîtras comme tes fils, peut-être ;

Tes bruyères, tes puys, tes rocs les ont vu naître,

Et vois : ils sentent bon tes âcres genêts verts.

Ils sont frustes, rugueux comme tes houx amers,
Tes brandes où l’on voit la rocaille apparaître,
Heurtés des tintements des troupeaux qui vont paître
Et battus du grand vent bleu de tes cieux ouverts…

J’ai voulu qu’ils fussent gonflés de toi, ma glèbe !
Que survécût en eux le geste de la plèbe
Et qu’une âme vibrât du basalte moussu.

Mais j’ai peur, oh ! j’ai peur que ne soient vains mes rêves…
Et pardonne, Pays trop cher, si je n’ai su,
Fils indigne, chanter tes granits et tes sèves !

Chanson "Mon pays", écrite par Léon Boyer (hommage au poète paru dans Lo Cabreto, 1935)
Chanson "Mon pays", écrite par Léon Boyer (hommage au poète paru dans Lo Cabreto, 1935)

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